Daniel Bourgault
Tout le monde est familier avec les vagues à la surface de la mer. Cependant, les vagues n’y sont pas limitées car, bien que méconnues, des vagues existent aussi sous la surface de la mer, jusqu’aux confins océaniques. Ce sont les vagues sous-marines, aussi appellées vagues internes ou ondes internes.
Ces vagues sous-marines peuvent atteindre plusieurs mètres de hauteur, voire des dizaines de mètres de hauteur. Bien que difficilement détectables, ces vagues sous-marines sont omniprésentes dans l’océan et jouent un rôle primordial dans le transport de chaleur, de sel, d’éléments nutritifs, de polluants et de sédiments.
Les vagues sous-marines existent car la structure verticale de l’océan est organisée en couches d’eau de différentes densités. En général, les eaux moins salées et plus chaudes flottent par-dessus des eaux plus froides et plus salées. Ce sont les interfaces entre ces couches d’eau qui peuvent supporter les vagues sous-marines, un peu de la même manière que l’interface eau-air supporte les vagues de surface. Puisque l’océan contient plusieurs de ces interfaces, les vagues sous-marines peuvent se propager à toutes les profondeurs.

Les vagues sous-marines possèdent toutes sortes de propriétés fascinantes et encore mal comprises. Par exemple, certaines de ces vagues peuvent se propager non seulement à l’horizontale, comme les vagues de surface, mais aussi sur la verticale. Les vagues sous-marines peuvent aussi déferler, un peu comme le font les vagues sur la plage, et ainsi créer beaucoup de turbulence, de mélange et de remise en suspension de sédiments, tel qu’illustré dans la vidéo suivante.
Les marées sous-marines (ou marées internes)
La période d’oscillation des vagues sous-marines peut aller de quelques minutes à plusieurs heures, selon les caractéristiques du milieu océanique dans lesquelles elles se propagent et selon le mécanisme qui les a générées.
Une vague sous-marine est appelée marée sous-marine ou marée interne lorsque sa période d’oscillation est la même que celle de la marée (p. ex.: 12 h 25 min). Ces vagues sous-marines de longues périodes sont de plus affectées par la force de Coriolis — effet dû à la rotation de la terre — et se comportent ainsi de façon plus complexe.
Les mécanismes de génération
Alors que le vent est la principale source des vagues de surface, les sources de génération des vagues sous-marines sont encore mal connues et font l’objet de plusieurs recherches. Parmi les mécanismes les mieux compris, on compte la perturbation d’un écoulement de marée par des obstacles topographiques tels que les montagnes sous-marines. Un autre mécanisme de génération des vagues sous-marines récemment découvert est la collision frontale de deux masses d’eaux de densités différentes. Mais d’autres mécanismes de génération existent nécessairement car on trouve aussi des vagues sous-marine à des endroits de l’océan où la bathymétrie est plate et et en absence de collision de masses d’eaux.
Les deux vidéos suivantes montrent d’une façon idéalisée la génération de marées sous-marines suite à l’interaction de la marée avec un changement abrupte de la bathymétrie.
La première vidéo montre le cas où l’océan est stratifié de façon uniforme, c’est-à-dire que la densité de l’eau augmente au même rythme avec la profondeur. Cette stratification est représentée par les lignes noires.
Le panneau du haut montre une vue très large, sur presque 10 000 km, où l’on voit arriver de la gauche vers la droite l’onde de marée principale et les courants de marée qui lui sont associés (en couleur). Dans ce cas-ci, l’onde de marée est caractérisée par une longueur d’onde de l’ordre de 1000 km.
La panneau du bas montre un zoom autour des premiers 200 km où l’on peut voir la génération d’une marée sous-marine par l’interaction de la marée principale avec le changement bathymétrique abrupte. La marée sous-marine ainsi générée se propage vers la droite, à contre-sens de la marée principale, avec une longueur d’onde beaucoup plus petite, de l’ordre de 60 km. Le code de couleur du panneau du bas montre les courants associés à cette marée sous-marine auxquels les courants de la marée principale ont été soustraits.
Fait intéressant et intrigant à remarquer, on voit apparaître après un certain temps des sortes de faisceaux obliques qui semblent rebondir sur le fond et la surface. Il s’agit là d’une propriété fondamentale et fascinante des vagues sous-marine qui est reliée au fait qu’elles peuvent aussi se propager sur la verticale.
La vidéo suivante est identique à la précédente à l’exception que l’océan dans lequel la marée se propage n’est pas uniformément stratifié, mais plutôt stratifié en deux couches. Cette situation représente d’une façon plus réaliste les conditions que l’on retrouve dans des milieux côtiers et estuariens. Dans un tel milieu océanique organisé en deux seuls couches, les vagues sous-marines et les marées sous-marines ne peuvent se propager qu’à l’horizontale, de façon analogue aux vagues se surface.
Dans l’estuaire du Saint-Laurent, de fortes marées sous-marines sont ainsi générées à la tête du chenal Laurentien, au large de Tadoussac, là ou la bathymétrie remonte rapidement. Ce mécanisme physique n’est pas étranger avec la présence de baleines dans cette région. Sans les remontées d’eaux profondes ainsi occasionnées par la génération de marées sous-marines cette région ne serait pas aussi productive et aussi hospitalière pour les mammifères marins.
À propos de l’auteur: Daniel Bourgault est professeur chercheur en océanographie physique au POLR et membre de Québec-Océan. Il s’intéresse particulièrement aux vagues sous-marines et à la turbulence océanique.